Le chant du supporter

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- Cet article existe aussi en version audio ici :

“L’enfer c’est les autres”. « L’homme est un animal social ». « Avoir honte c’est s’imaginer autrui nous jugeant” et même “Whatever you do in this life, it's not legendary, unless your friends are there to see it”. Ainsi que de nombreuses autres citations. Des philosophes aux séries télévisées, tous s’accordent sur un point. L’humain se construit grâce, malgré, en opposition et en accord avec les autres. Il a besoin de leurs regards pour exister. Et c’est encore plus vrai dans le sport.

Certains joueurs prétendront peut-être qu’ils n’exercent que par passion ou pour les trophées. Mais la passion est bien souvent déclenchée par l’admiration de modèles dont nous étions nous-même spectateurs par le passé, et quel intérêt auraient les trophées sans personne pour valider leurs valeurs ? Les huis-clos d’un passé pas si éloigné du fait d’une pandémie mondiale l’ont bien montré, jouer sans public ôte de la saveur, du sens et peut-être même l’essence des évènements.

Conquis, admiratif et joyeux souvent, stressé, tendu, retenant son souffle régulièrement, frustré, orgueilleux, énervé, triste et même de mauvaise foi parfois, passionné toujours, le supporter est-il en réalité l’élément essentiel du sport ? Focus sur cet individu ou plutôt ce groupe et son impact sur l’écosystème sportif.

Image par Hayden Schiff from Cincinnati, USA, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

Du simple point de vue monétaire, de l’aspect financier d’abord. Le sport existe par et pour les supporters. Ventes de maillot, places au stade, droits télévisés, sponsoring et publicités sont autant de moyens de générer du revenu. Car si le sport se pratique et se joue, il se regarde surtout.

A travers nos écrans, à travers nos yeux, à travers notre regard, le regard des gens. Et peu importe le lieu, l’endroit, le contexte, la magie opère. Par identification. Les sportifs, ces héros des temps modernes, nos héros. Leurs prouesses techniques sont des exploits mystiques, des exploits mythiques. Et chaque stade, chaque ring, chaque parcours, chaque court le théâtre ou plutôt l’arène de ces exploits. Alors devant ces scènes on se projette, on s’imagine, on se rêve en héros. Enfant, adolescent, adulte, et même à la retraite. On se compare. « Je suis Messi, toi Ronaldo ». On s’entraîne à recréer les gestes de nos idoles, ceux de notre temps. Ceux que l’on a vu, dont on a été témoins de la grâce, éclaboussés par le talent, la poussière d’étoiles. A la télévision ou même en temps et lieu réel pour les plus chanceux d’entre nous. Et on se souvient, des noms surtout « De mon temps, un tel, c’était quelque chose », mais aussi des évènements « cette finale de Wimbledon, cette édition du Tour de France ». Car cela nous aura marqué à vie. Mais d’où vient cette passion ? De cette aspiration à devenir l’égal de nos modèles ? De cette admiration vouée à ceux qui réalisent l’impossible pour le commun des mortels ? Oui ce n’est que du sport, mais n’y a-t-il pas quelque chose de magique dans les foulées des sprinters courant le 100m en moins de 10 secondes, aux accélérations fulgurantes des forçats de la route seuls tout là-haut dans la montagne, dans un dribble suspendant le temps, dans l’esquive d’un boxeur, une trajectoire inimaginable, ou un superbe revers long de ligne ? Instants de suspension, d’incroyable, d’impossibles. Tant d’instants, tant de magie. Oui, c’est sans doute bien cela qui retient notre attention.

Cependant certains de ces moments occupent une place différente dans notre esprit et à nos yeux que d’autres. Et pourtant il serait difficile d’effectuer une gradation, un jugement de valeurs entre toutes ces fulgurances de magnificence. Alors comment, de manière totalement subjective, irrationnelle et abrupte se prend-on, s’éprend-on de passion pour une équipe ou un individu, et pas d’autres alors même que ceux et celles-ci nous sont totalement inconnus au départ ? La réponse à cette question n’existe sans doute pas, ou plutôt est multiple. Des souvenirs forts de l’enfance, le simple design d’un maillot que l’on rêverait d’arborer, ou même un nom qui sonne bien. L’accord ou l’opposition avec notre entourage, l’identification comme mentionné auparavant et de nombreux autres facteurs, plus ou moins rationnels, souvent moins que plus.

Et c’est alors que la passion se transforme. De spectateur appréciant le jeu et les gestes, on devient supporter. La différence est subtile, mais elle est aussi certaine. Ce qui change, c’est l’intensité du regard, et les sensations alors éprouvées. Là où l’observateur neutre se contente d’apprécier, le supporter lui se met à vivre l’évènement. Impuissant, il a le cœur qui palpite au rythme du match, respire, danse et crie comme s’il était l’acteur principal de l’évènement, voire plus. Il n’a aucun contrôle sur le cours du déroulement mais il frappe la balle, gravit les sommets, allonge sa foulée, bouge son corps, stresse, frissonne, pleure et célèbre à l’unisson de la personne, de l’équipe qu’il supporte. Cette relation privilégiée se développe, les liens se renforcent au fur et à mesure que le supporter et ce qu’il supporte créent un passé commun. Sans forcément parier de l’argent, mais en étant sûr et annonçant la victoire avec anticipation : « cette année, cette fois-ci, on gagne ». Il intègre ses joueurs préférés dans ses équipes virtuelles dans des jeux de fantasy league comme MPG, mise sur ceux-ci dans tous ses pronostics, internes, avec ses amis ou sur d’autres applications. Ce faisant, il perd presque toute objectivité par amour pour ce qu’il supporte. Il aime son équipe, il adore ses idoles, inconditionnellement et il vibre. Il arbore les couleurs, porte le maillot, et prie pour la victoire de « ses » sportifs/équipes de manière quasiment religieuse. Et il croit. A l’exploit, à la brillance dans le geste ou dans la performance. Mais il ne peut rien. A moins que…

Enchanté par ce magnifique spectacle hautement visuel, le supporter admire l’incroyable, fragment de lumière dans l’immensité du morne. Et c’est alors qu’il se rend compte de l’intensité du silence assourdissant. Dans ce film, il manque l’audio, la bande son. Alors il donne de la voix, crie, hurle, applaudit, saute, tape du pied. Et les supporters rendent aux sportifs, par un pouvoir presque tout aussi mystique. Le 12ème homme, la foule qui porte l’athlète, et bien d’autres termes. Oui le pouvoir du public existe et il est puissant, magnifique lui aussi. Impuissance transformée en résolution donnant la force de l’inéluctable par encouragements. Chants de défis. Chants d’aide. Chants de soutien. Le supporter ne peut rien et voit tout, ressent tout, alors il chante, il s’époumone à pleine voix. Visuel s’effaçant pour de l’auditif, soutien laudatif, se transformant en gestuelle, en énergie. Chants de communion. Chants de célébration. Chants de tristesse parfois. Il n’y a pas grand-chose de pire que des évènements tragiques causés par l’adversité violente d’un pseudo-supporterisme. Chants de magie. Il n’y a pas grand-chose de plus extraordinaire que des supporters de différents horizons, de différentes équipes, de différents athlètes, unissant leur voix pour rendre hommage à tous les acteurs. Chants de rassemblement, de communion, d’union, malgré, non plutôt grâce à nos différences. C’est sans doute aussi, et peut-être même surtout pour ça qu’on aime le sport.

Car au fond, quoi de plus beau que le chant du supporter ?

Merci pour votre attention et à bientôt sur le site!

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An English version of the article is available here :

The anthem of the supporter

And there is an audio version that can be found there (sorry for the French accent) :

"Hell is other people". "Man is a social animal". "To be ashamed is to imagine others judging us" and even "Whatever you do in this life, it's not legendary, unless your friends are there to see it". As well as many other quotes. From philosophers to TV series, all agree on one point. The human being is built thanks to, in spite of, in opposition to and in agreement with the others. He needs their looks to exist. And this is even more true in sports.

Some players may claim that they only play out of passion or for trophies. But passion is often triggered by the admiration of role models that we ourselves once witnessed, and what good would trophies be without anyone to validate their values? As the not so distant past of a worldwide pandemic has shown, playing without an audience takes away the flavor, the meaning and maybe even the essence of the events.

Conquered, admiring and joyful often, stressed, tense, holding his breath regularly, frustrated, proud, angry, sad and even dishonest sometimes, passionate always, is the supporter actually the essential element of the sport? Focus on this individual or rather this group and its impact on the sports ecosystem.

Image by Hayden Schiff from Cincinnati, USA, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

From a simple monetary point of view, from the financial aspect first. Sport exists by and for the fans. Jersey sales, stadium tickets, television broadcast rights, sponsoring and advertising are all ways to generate income. Because if sport is practiced and played, it is mostly watched.

Through our screens, through our eyes, through our gaze, the gaze of people. And no matter the place, the context, the magic happens, always. By identification. Athletes, these modern-day heroes, our heroes. Their technical feats are mystical, mythical. And each stadium, each ring, each track, each court is the theater or rather the arena of these feats. So in front of these scenes we project ourselves, we imagine ourselves, we dream ourselves as heroes. Child, teenager, adult, and even retired. We compare ourselves. "I am Messi, you are Ronaldo". We train ourselves to recreate the gestures of our idols, those of our time. Those we have seen, whose grace we have witnessed, those that we have been splashed by the talent, the stardust. On television or even in real time and place for the luckiest of us. And we remember, the names especially "In my time, such and such was quite something", but also the events "this Wimbledon final, this edition of the Tour de France". Because it will have marked us for life. But where does this passion come from? From this aspiration to become the equal of our models? From this admiration dedicated to those who achieve the impossible for the common man? Yes, it's only sport, but isn't there something magical in the strides of sprinters running 100m in less than 10 seconds, in the lightning accelerations of the road warriors alone up there in the mountains, in a dribble suspending time, in a boxer's dodge, an unimaginable trajectory, or a superb backhand along the line? Moments of suspension, of the incredible, of the impossible. So many moments, so much magic. Yes, this is undoubtedly what holds our attention.

However, some of these moments occupy a different place in our mind and in our eyes than others. And yet it would be difficult to make a gradation, a value judgment between all these flashes of magnificence. So how, in a totally subjective, irrational, and abrupt way, do we become passionate about a team or an individual, and not others, even though they are totally unknown to us at the beginning? The answer to this question probably does not exist, or rather is multiple. Strong memories of childhood, the simple design of a jersey that one would dream of wearing, or even a name that sounds good. The agreement or opposition with our entourage, the identification as mentioned before and many other factors, more or less rational, often less than more.

And that's when the passion changes. From being a spectator enjoying the game and the gestures, we become supporters. The difference is subtle, but it is also certain. What changes is the intensity of the look, and the sensations experienced. Where the neutral observer is content to appreciate, the supporter begins to live the event. Powerless, his heart beats to the rhythm of the match, he breathes, dances and shouts as if he were the main actor of the event, or even more. He has no control over the course of the game, but he hits the ball, climbs the heights, lengthens his stride, moves his body, stresses, shivers, cries and celebrates in unison with the person, the team he supports. This privileged relationship develops, the bonds are strengthened as the supporter and what he supports create a common past. Without necessarily betting money, but being sure and announcing the victory with anticipation: "this year, this time around, we are winning this".

He picks his favorite players in his virtual teams in fantasy league games like MPG, bets on them in all his predictions, internally, with his friends or on other applications. In doing so, he loses almost all objectivity out of love for what he supports. He loves his team, he adores his idols, unconditionally and he thrills. He wears the colors, wears the jersey, and prays for the victory of "his" athletes/teams in an almost religious way. And he believes. In the feat, in the brilliance of the gesture or in the performance. But he cannot do anything. Unless...

Enchanted by this magnificent and highly visual spectacle, the supporter admires the incredible, a fragment of light in the immensity of the dull. And it is then that he realizes the intensity of the deafening silence. In this movie, the audio is missing, the soundtrack. So he gives his voice, gives it all, shouts, screams, applauds, jumps, stamps his feet. And the supporters give back to the athletes, with a power almost as mystical. The 12th man, the crowd that carries the athlete, and many other terms. Yes, the power of the fans exists and it is powerful, magnificent too. Impotence transformed into resolution giving strength to the inescapable by encouragement. Chants of challenge. Chants of help. Chants of support. The supporter can't do anything and sees everything, feels everything, so he sings, he sings his heart out. Visuals fade into auditory , laudatory support, turning into gestures, into energy. Chants of communion. Chants of celebration. Chants of sadness at times. There is hardly anything worse than tragic events caused by the violent adversity of a pseudo-supporterism. Chants of magic. There is hardly anything more extraordinary than fans from different backgrounds, different teams, different athletes, uniting their voices to pay tribute to all involved. Songs of gathering, of communion, of union, in spite of, or rather thanks to our differences. It is probably also, and perhaps even especially, for this reason that we love sport.

Because in the end, what could be more beautiful than the anthem of the supporter?

Thanks for your attention and see you soon on the website!